BEAUTÉS
22 juin 2023
5 novembre 2023
Acquises par la collection du FRAC Auvergne entre 1985 et 2023, les «beautés» réunies dans cette exposition sont nées des «caprices» de celles et ceux qui les ont créées. Par caprice, il faut entendre l’impulsion, la fantaisie, la générosité et la profusion, il faut éprouver le frisson (capriccio en italien) dont elles ont gratifié les artistes qui les ont imaginées bien avant de nous être données. Pas une beauté mais des beautés, associant leurs contraires dans une indémêlable étreinte.
Beautés
Marcel Proust écrivait que «la vraie beauté est si particulière, si nouvelle, qu’on ne la reconnaît pas pour la beauté», soulignant notre impuissance à savoir la saisir quand elle se présente, surpris de la voir se révéler à retardement, après coup. La beauté est une friction de sentiments contradictoires. L’émoi, la merveille, la poésie et la légèreté côtoient la disgrâce, le périssable, le mélancolique et la gravité. Ce qui apparaissait comme dépourvu de beauté se révèle dans une floraison inattendue, plus subtile que ne le laissait prévoir le sens attribué à cette qualité souvent confondue avec la joliesse. La beauté se dévoile, opaque et nostalgique comme une goutte d’encre noire dans le lait, solaire comme un reflet scintillant à la surface de l’eau, infixable comme le défilement d’un paysage aperçu par la vitre d’un train lancé à toute allure à travers la campagne. Les beautés sont éclatantes autant que déclinantes. Sans doute la lumière faiblissante du crépuscule affleurant les ténèbres convient-elle davantage pour qualifier la beauté et son inéluctable fanaison : le coucher de soleil vespéral est autant le spectacle des bluettes romantiques que l’embrasement sidérant annonçant une extinction.
Acquises par la collection du FRAC Auvergne entre 1985 et 2023, les «beautés» réunies dans cette exposition sont nées des «caprices» de celles et ceux qui les ont créées. Par caprice, il faut entendre l’impulsion, la fantaisie, la générosité et la profusion, il faut éprouver le frisson (capriccio en italien) dont elles ont gratifié les artistes qui les ont imaginées bien avant de nous être données. Pas une beauté mais des beautés, associant leurs contraires dans une indémêlable étreinte. L’harmonieux se joint à la discordance, la magnificence accueille la stridence, le lustre accepte les plis urticants et les fascinantes désintégrations. Les remous d’une assemblée de carpes à la surface d’une mare cadrée par Rinko Kawauchi offrent une beauté déjà menacée par le frémissement d’une fragilité de vitrail ; la lumière d’aube des encres de Claire Chesnier affleure les tourbes originelles en même temps que le devenir boueux du monde ; la composition parfaite de Gregory Crewdson révèle son harmonie à l’aune de la solitude des êtres qui s’y trouvent figés dans une grâce, malgré eux.
Jean-Charles Vergne
Directeur du FRAC Auvergne
Commissaire de l’exposition
Ci-contre : Claire Chesnier – 120221 – 2021 – Encre sur papier contrecollé sur Dibond – 173,5 × 137,5 cm – Collection FRAC Auvergne
Beautés
Marcel Proust écrivait que «la vraie beauté est si particulière, si nouvelle, qu’on ne la reconnaît pas pour la beauté», soulignant notre impuissance à savoir la saisir quand elle se présente, surpris de la voir se révéler à retardement, après coup. La beauté est une friction de sentiments contradictoires. L’émoi, la merveille, la poésie et la légèreté côtoient la disgrâce, le périssable, le mélancolique et la gravité. Ce qui apparaissait comme dépourvu de beauté se révèle dans une floraison inattendue, plus subtile que ne le laissait prévoir le sens attribué à cette qualité souvent confondue avec la joliesse. La beauté se dévoile, opaque et nostalgique comme une goutte d’encre noire dans le lait, solaire comme un reflet scintillant à la surface de l’eau, infixable comme le défilement d’un paysage aperçu par la vitre d’un train lancé à toute allure à travers la campagne. Les beautés sont éclatantes autant que déclinantes. Sans doute la lumière faiblissante du crépuscule affleurant les ténèbres convient-elle davantage pour qualifier la beauté et son inéluctable fanaison : le coucher de soleil vespéral est autant le spectacle des bluettes romantiques que l’embrasement sidérant annonçant une extinction.
Acquises par la collection du FRAC Auvergne entre 1985 et 2023, les «beautés» réunies dans cette exposition sont nées des «caprices» de celles et ceux qui les ont créées. Par caprice, il faut entendre l’impulsion, la fantaisie, la générosité et la profusion, il faut éprouver le frisson (capriccio en italien) dont elles ont gratifié les artistes qui les ont imaginées bien avant de nous être données. Pas une beauté mais des beautés, associant leurs contraires dans une indémêlable étreinte. L’harmonieux se joint à la discordance, la magnificence accueille la stridence, le lustre accepte les plis urticants et les fascinantes désintégrations. Les remous d’une assemblée de carpes à la surface d’une mare cadrée par Rinko Kawauchi offrent une beauté déjà menacée par le frémissement d’une fragilité de vitrail ; la lumière d’aube des encres de Claire Chesnier affleure les tourbes originelles en même temps que le devenir boueux du monde ; la composition parfaite de Gregory Crewdson révèle son harmonie à l’aune de la solitude des êtres qui s’y trouvent figés dans une grâce, malgré eux.
Jean-Charles Vergne
Directeur du FRAC Auvergne
Commissaire de l’exposition
Ci-contre : Claire Chesnier – 120221 – 2021 – Encre sur papier contrecollé sur Dibond – 173,5 × 137,5 cm – Collection FRAC Auvergne
LE PROMONTOIRE DU SONGE
Avec
Etel Adnan – Dove Allouche -Mustapha Azeroual – Léa Belooussovitch – Mireille Blanc – Dirk Braeckman – Claire Chesnier – Raoul De Keyser – Vincent Dulom – Jean-Charles Eustache – Marina Gadonneix – Noémie Goudal – Lukas Hoffmann – Rémy Jacquier – Marc Lathuillière – Jérémy Liron – Sébastien Maloberti – Éric Manigaud – Francis Morandini – Jean-Luc Mylayne – Loïc-Yukito Nakamura – Patrick Neu – Eva Nielsen – Josèfa Ntjam – Anthony Plasse – Sylvain Roche – Hiroshi Sugito – Luc Tuymans – Robert Zandvliet – NASA
Dans Le Promontoire du songe, écrit en 1863, Victor Hugo raconte une expérience visuelle marquante. Il s’agit de l’observation de la surface de la Lune à travers un télescope, de la découverte de ses reliefs et du volcan appelé le Promontoire du songe. Très vite, il établit une comparaison entre la révélation du paysage lunaire et la façon dont se dévoilent au regard les œuvres d’art1. Le texte est remarquable dans sa manière de pointer la cécité initiale qui peut être la nôtre lorsque, pour la première fois, nous découvrons une œuvre, incrédules et incapables d’en mesurer la portée. Victor Hugo « ne voit rien », avant que n’advienne un véritable « voyage », une « irruption de l’aube dans un univers couvert d’obscurité » vécue comme une fulgurance.
Devant la Lune ou face aux œuvres, le regard découvre. Le terme est riche de sens car il indique la notion d’invention à l’égard d’une chose qui demeurait dissimulée, masquée, alors même que nous l’avions devant les yeux. Une œuvre se découvre, se trouve à découvert, soumise au jugement de celles et ceux qui la regardent. Ce qui n’est plus couvert se trouve, littéralement, à découvert, en situation de fragilité.
Souvent, comme ce fut le cas pour Victor Hugo, nous constatons notre incapacité à voir, soit parce que les œuvres ne se découvrent pas si aisément, soit parce que nous n’adoptons pas le bon point de vue, au bon moment. Il nous faut aller au-delà du désappointement initial. Il nous faut admettre notre aveuglement et accepter le temps nécessaire pour discerner, percevoir et faire le voyage auquel les œuvres nous invitent.
Pourtant, ce qui aurait dû déclencher ce voyage et nous élever à la hauteur de nos espérances se révèle parfois opaque, voire décevant. Ainsi, la Lune rêvée par Victor Hugo n’est pas celle que foula Neil Armstrong en 1969 devant des millions de téléspectateurs. Ce fut une Lune terriblement réelle, grise, poussiéreuse et terne, un satellite inerte et froid. L’auteure Nina Leger en a fait un livre, Stark2, dans lequel elle met en regard le texte de Victor Hugo avec le récit de l’aventure vécue par Neil Armstrong. La Lune, en 1969, fut ainsi vidée de son imaginaire, de sa puissance onirique, mise à découvert car les images qui furent mondialement diffusées ne montrèrent qu’un vaste désert couleur de cendre duquel étaient absents les fantasmes et les symboles que l’astre avait portés depuis des millénaires. Pourtant, nous continuons à regarder la Lune dans sa merveille et son mystère, nous continuons à y croire.
C’est cette expérience du regard que souhaitent mettre en lumière les œuvres d’une trentaine d’artistes de la collection du FRAC Auvergne. Elles dévoilent ce qui apparaît, ce qui nous échappe, mais aussi les relations particulières qui se nouent dans leurs dialogues. Alors, comme Victor Hugo, regardons. Regardons mieux.
Jean-Charles Vergne
Directeur du FRAC Auvergne
Commissaire de l’exposition
1- Dans le texte de Victor Hugo, il s’agit des pièces de William Shakespeare
2- Nina Leger, Stark, éditions marcel, Paris, 2018.