Clédia FOURNIAU

Née en France en 1992 - Vit à Paris

Née en 1992 à Paris. Vit et travaille à Paris. Clédia Fourniau est représentée par la galerie Paris-B (Paris). Elle est diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2021 et résidente à Poush (Aubervilliers).

Depuis quatre ans, Clédia Fourniau utilise de la résine pour bateau pour coffrer ses toiles teintées dans la masse de manière empirique. Le protocole est proche de celui d’une pièce d’usine : une œuvre ne vient pas seule mais en série, déclinée et numérotée comme un échantillon scientifique ou un objet approximativement moulé à partir d’un modèle. Nulle métaphore, puisque la peinture est ramenée par le geste expérimental à sa forme essentielle d’objet. La seule image est celle de la peinture même et de ce qu’elle reflète réellement, concrètement. Il en va, chez Clédia Fourniau, d’une énergie aveugle. Mais qu’implique, au juste, cette énergie dans la manière de voir ? Une énergie du faire appelle-t-elle une énergie du regard ? Dans le cas de ce travail, certainement, si l’on en suit l’équation : une peinture emprisonnée emprisonne à son tour le spectateur. Ou : une superposition de couches appelle un regard profond – c’est mathématique – qui rentre dans la toile comme on rentre dans de la peau. Tout procède, dans cette peinture, du rapport au corps et à l’espace : la toile est soulevée et le poids des pigments les étend comme des coulées de lave. Ici, le corps qui sent est un corps-machine. Peinture de peinture, faite d’une accumulation de repentirs comme une surenchère de sens, elle met à mal la définition traditionnelle de la peinture (la planéité du support) pour la remplacer par une peinture-objet, qui se tient entre les mains, sort du mur et interagit donc avec celui ou celle qui l’observe. Les alluvions prises dans ce glacis luisant miroitent et attirent l’œil comme un leurre, créant un étrange passage magnétique et chimique. Plus encore, la lumière traverse ces blocs de couleur qui, comme les vitraux, évoluent avec l’atmosphère en même temps qu’ils l’influent. Les reflets du vernis et les propriétés irridescentes du mica incluent – engluent – l’espace environnant et le corps du spectateur, qui se retrouve à l’endroit où était auparavant celui de l’artiste. L’espace plastique devient le lieu spécifique du dialogue de l’un avec l’autre. Et qu’ont-ils à se dire ? Peut-être que, dans ce triangle amoureux, le peinture est l’heureuse gagnante : spectateur comme artiste se laissent prendre dans la cuvette formée par le coffrage. Que ce soit dans son aspect précieux ou, au contraire, dans sa facture industrielle, la trame de la toile de coton est niée, avalée avec le temps dans l’étanchéité du polymère acrylique. Aussi la peinture se fait à son tour prendre par elle-même. Les strates, une fois coffrées, se lisent sur la tranche comme un relevé géologique. En résultent des bords bombés, évasés, cabossés, suggérant que la peinture fait fi des angles droits du support, qu’elle contamine et qu’elle engloutit, en somme qu’elle tient entre ses membres davantage qu’elle n’est elle-même tenue par le support.

 

Elora Weill-Engerer

 

 

Clédia Fourniau peint avec des vernis, des colorants, des résines et des encres, dont la chimie produit des surfaces moirées, troubles et insaisissables. Comme pour une coquille d’huître, la rudesse et la rugosité de ces objets compacts enveloppent, tel un écrin, les teintes prodigieuses de la nacre, à peine dévoilée d’un plasma aquatique charriant ses alluvions visqueux aux rivages de la toile. Impossible de fixer une image acceptable du moirage de ces surfaces légèrement concaves, sensiblement ployées par le poids des matières, mêlant à l’opacité et à l’obscur d’improbables mirages lumineux fugitifs. Un pas de côté et d’autres couleurs affleurent, polarisent vers de nouvelles tonalités furtives. Un bleu d’armure de scarabée devient un rose lilas, un noir profond comme l’asphalte se trouble de pourpre, un vert métallisé fond vers un or ancien comme transmuté dans la cornue d’un alchimiste. Ces creusets, taillés à l’échelle d’une main, irisés comme la pupille d’un œil, ont cueilli sur leurs bords accidentés le vert tendre des frondaisons de printemps encadrant le passage des nuages dans un ciel d’azur. Ce sont des badigeons, des flaques, des souillures de résines, vulgaires comme des pierres dont les bords et le cœur ouvert révèlent, dans une gangue ordinaire et grenue, l’insoupçonnée noblesse de battements chromatiques.

 

Jean-Charles Vergne