Jacques HALBERT
Né en France en 1955 - Vit en France
Originaire de la région de Rabelais, Jacques Halbert est le digne héritier de l’illustre philosophe dont il transmet l’esprit au moyen de sa palette, et dont l’écho nous revient par son rire gargantuesque. Depuis près de trente ans, l’artiste mène une démarche artistique originale, et quelque peu frugale aussi. Son intérêt initial pour les mouvements Fluxus et Dada se recoupe et se déplace avec l’aventure étonnante de sa vie, et sur un champ personnel impliquant plus largement l’histoire de l’art. Au début des années 1970, il entre à l’école des Beaux-Arts de Bourges. Là commence la carrière de ce peintre au caractère, pour gloser Roland Duclos, “ gouleyant comme un vin de Chinon ”, et sur un sujet passionnel qui se rapporte à son goût particulier, un sujet ordinaire et pourtant insolite : la cerise, les cerises. Une thématique quasi obsessionnelle dans son œuvre, puisqu’on la retrouve encore aujourd’hui.
Jacques Halbert, on le sait, apprécie les sujets de fruits et d’agrumes qui se répètent comme les motifs d’un papier peint, et qu’il ose faire rouler sur ses toiles en déclinant un nuancier aux couleurs les plus jeunes. Dans une apparence de disposition aléatoire, ou strictement ordonnée, des cerises rouges, croquées, croquantes, viennent, véritables petites boules d’énergie céleste et végétale, scintiller sur la toile. Les œuvres de Jacques Halbert, contrairement à l’ordinaire dans ce domaine, ne craignent ni les sujets simples ni les couleurs franches, bien au contraire, et si la tendance actuelle est triste et pondérée, conceptuelle et austère, ses peintures ne sont surtout pas là pour nous le rappeler.
L’artiste sème comme le marchand de sable ses cerises scintillantes sur le sommeil des anges, mais marque aussi de son ombre chaque cerise peinte. Sans doute s’agit-il par là aussi de ne pas faire adhérer le sujet à la cruauté des fonds, d’échapper à la morosité du non-dit, à l’avarice du presque rien et au fondamentalisme du non-peint. S’il y a motif, s’il y a figuration, il y a encore dans le propos une démarche d’abstraction. On trouvera en effet, dans le traitement merveilleux des couleurs et des textures du support, quelque chose d’insondable, d’impalpable et d’impénétrable même si, mis en avant sur des aplats qui fondent, des cerises perlent des larmes de chair vivante. C’est dans ce murmure, dans cet écart, dans ce vide en tension entre sujet et fond que la peinture ici, spontanément, rentre en activité. La peinture de Jacques Halbert renvoie davantage que la part de bonheur que chacun a su préserver en soi-même, elle bouillonne, déborde, coule sur le sol. Les cerises passent de l’état inerte à l’état vivant par la pensée. La matière qui l’a formulée se fixe dans le geste de peindre entre agrégation et dissolution du sujet, entre culture culinaire, culture populaire et culture savante, entre enfin la joie prégnante d’un présent exalté et les temps jamais oubliés d’une cueillette passée.
Ainsi que les grains de la grappe d’un raisin fameux pris dans l’étau de l’alchimie superbe, se dégagent une écriture inconnue, un message liquide, une sorte d’élixir, quelque chose de capiteux, de soyeux, de joyeux… Il appartient à chacun de laisser son regard s’abreuver de ce jus de peinture, de humer ces parfums colorés. Ce sont les couleurs du soleil qui jaillissent de la solution pigmentée, et c’est le tableau nouveau qui sort de son pressoir.
Extrait de « Jacques Halbert, deux fois né… Cerises et petits pois »
Le Creux de l’enfer, janvier 2004