Albert OEHLEN
Né en 1954 en Allemagne - Vit en Allemagne
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Expositions
La langue dans la boue Le Syndrome de Babylone Albert Oehlen BABEL THE SLIDE SHOW – Mekanism BeautésEdition
Albert OEHLENAlbert Oehlen a fait ses études à l’Académie des Beaux-arts de Hambourg et s’est fait connaître à partir de la fin des années 80 aux côtés de Martin Kippenberger avec lequel il a souvent collaboré dans le contexte d’une relation autant fondée sur l’amitié que sur des préoccupations partagées autour, notamment, d’une réflexion sur le processus pictural lui-même, sur ses fondements syntaxiques. Il évacue le plus possible toute forme d’autobiographie et de narration des œuvres, qu’elles soient peintes de manière expressionniste, qu’elles soient réalisées à partir de collages ou qu’il s’agisse de créations numériques transposées sur toile ou papier sur lesquelles il peut éventuellement intervenir avec d’autres techniques « à la main ». Comme il l’affirme lui-même, l’art doit montrer son processus interne de réalisation, à l’image d’une mécanique dénudée et totalement visible, et ne doit pas être le terrain d’expression sensible de l’artiste. Ses peintures, numériques ou à l’huile, ses affiches et ses collages révèlent une volonté d’explorer les possibilités de la couleur et de la forme, de tester les différents mécanismes de production picturale, d’interroger la permanence d’une tradition historique de la peinture confrontée, d’une part, à l’émergence de nouveaux moyens informatiques de produire une image et, d’autre part, à la perméabilité de plus en plus grande depuis le pop art entre culture « high » et culture « low », entre le « savant » et le « populaire ». Sur ce dernier point, il est notable de constater qu’Albert Oehlen multiplie les incursions dans d’autres domaines que celui de l’art contemporain et c’est probablement une bonne manière de comprendre quels sont en réalités ses principaux pôles d’intérêts : création d’un label de musique punk, soutient apporté à des groupes allemands de musique expérimentale, passion inextinguible pour le groupe de rock américain The Melvins, collaborations déjantées avec le peintre, sculpteur et performer allemand Jonathan Meese (voir les pages qui lui sont consacrées dans ce livre) sont autant d’aspects de la personnalité d’Albert Oehlen qui permettent au spectateur d’envisager avec plus de pertinence la complexité de cet artiste, totalement impossible à ranger dans une catégorie.
Il peut ainsi passer d’une Computer painting, œuvre assistée par ordinateur – comme celle que le FRAC Auvergne a acquise, visiblement sous-tendue par une recherche d’ordre grammatical sur la peinture contemporaine – à la création de peintures-collages qu’il conçoit à quatre mains avec Jonathan Meese au cours de séances délirantes où l’esprit potache prend souvent le pas sur la théorie. Disons, pour résumer, que Albert Oehlen s’inscrirait, pour l’abstraction et les recherches sur la langue picturale, au sein d’une famille internationale où figurent Jonathan Lasker, Helmut Dorner, David Reed, Shirley Jaffe, Bernard Frize, Bernard Piffaretti, Pascal Pinaud, Gilgian Gelzer, Rémy Hysbergue, Fiona Rae…1 et qu’il mènerait, de manière un peu schizophrénique, une double vie faite de musique hardcore et de death metal, d’humour décapant, de collaborations avec Jonathan Meese, Werner Büttner, André Butzer. Pour cela, il y a incontestablement du Frank Zappa ou du Fantômas2 chez Albert Oehlen : l’obésité stylistique, le maniérisme ampoulé sont systématiquement plastiqués avec les armes d’un très grand connaisseur passant d’un style à l’autre, d’un alphabet à l’autre, capable de manier tous les rythmes et tous les registres stylistiques, de les démonter, d’en créer des hybridations, sans jamais se singer lui-même.
Les computer paintings, dans leurs bégaiements, leurs saccades, leurs interruptions et leurs irruptions inopinées de motifs, utilisent de multiples procédés de cut up, chevauchements, collisions, superpositions improbables, tout en préservant l’unicité de l’œuvre et la singularité de chaque élément pictural. Chaque élément possède son cycle, son évolution à la surface de l’œuvre, indépendamment des autres motifs, tout en s’inscrivant dans une dynamique de continuum. C’est dans la mesure où les différentes composantes des computer paintings rivalisent, se recouvrent, se traversent, qu’elles tracent un chemin jonché d’obstacles dans l’espace visuel en même temps qu’elles font lire l’image comme une partition de musique spatialisée, ponctuée d’effondrements, de déflagrations hardcore, de riffs suraigus, de larsens dévoreurs de tympans, de plages ambient, de pics virtuoses, de défaillances voulues, de passages noisy, de bruits blancs, mêlant tous les styles et toutes les postures. Les computer paintings sont des clusters picturaux, sont impossibles à mémoriser, fuient par tous les bouts tout en étant parfaitement fermés sur eux-mêmes – à l’instar du Sans titre du FRAC Auvergne qui en réalité forme un cylindre. Les computer paintings d’Albert Oehlen s’écoutent autant qu’elles se regardent.
Jean-Charles Vergne
1-Tous ces artistes sont présents, avec une ou plusieurs œuvres, dans la collection du FRAC Auvergne qui, depuis plusieurs années explore cet aspect particulier de la création picturale.
2-Groupe américain formé des membres de Slayer, The Melvins, Mr Bungle et de Mike Patton, dont le principal fondement consiste à jouer sur les principaux clichés du rock, du punk, du death metal, de la variété et de toute autre musique afin d’en produire un mixage complexe et virtuose. Il vaut mieux partir des stéréotypes plutôt que d’y arriver…