François PERRODIN
Né en France en 1956 - Vit en France
Soient deux œuvres accrochées au mur. L’une est rouge, l’autre est verte. L’une a la forme d’un rectangle, l’autre celle d’une croix. Toutes deux occupent le même espace, c’est-à-dire que leurs dimensions maximales sont identiques : cent trente-cinq centimètres en hauteur, quarante-cinq en largeur et quinze en épaisseur.
La première question que posent ces deux œuvres est celle de leur statut. Elles tiennent à la fois de la peinture et de la sculpture. Pour la peinture, elles ont la couleur et l’accrochage mural. Pour la sculpture, elles ont le volume au détriment de la fameuse « surface plane » sensée caractériser la peinture. On peut donc décider qu’elles sont soit des sculptures qui reprennent certaines caractéristiques de la peinture, soit des objets hybrides entre peinture et sculpture, soit des objets autres qui échappent aux définitions traditionnelles et ne sont ni des peintures, ni des sculptures.
En second lieu, l’antagonisme presque terme à terme qui, paradoxalement, lie ces deux pièces correspond à l’idée d’une œuvre d’art qui échappe aux catégories et, dans un même mouvement, les intègre toutes. Symboliquement, les couleurs de 24/19 et 24/20 sont opposées et complémentaires. Le rouge est culturellement associé à la violence et à l’interdit alors que le vert renvoie au contraire à l’idée de nature, à l’agréable et à l’agrément, au contentement et au consentement. Ce jeu d’opposition chromatique se complique si l’on considère les formes des deux œuvres. La rouge est « ouverte » : elle dessine un trou, elle s’organise autour d’un vide, elle matérialise une ouverture. Sa présence physique – quatre tasseaux de bois formant un rectangle – est fondée sur son absence centrale. En cela, elle renoue avec la conception classique du tableau comme fenêtre. Comme une fenêtre, elle dénie sa qualité de surface pour revendiquer sa transparence, voire son inexistence. Le motif de la fenêtre peut également se retrouver de l’autre côté, dans l’œuvre verte puisque la croix n’est pas sans rappeler une croisée de fenêtre. Cependant, dans une fenêtre, encadrement et croisée n’ont pas la même fonction visuelle. L’encadrement s’inscrit dans cette image et la fragmente. Les deux œuvres présentent donc les deux visions concurrentes que peut offrir une fenêtre, comme pour souligner qu’un point de vue unique sur un objet n’exclut nullement la prolifération des images.
Parler des images est d’ailleurs, ici, probablement abusif puisque ce qui est montré n’est qu’un volume coloré accroché au mur. Si représentation il y a, elle se fait sur le mode allusif et référentiel. Dans la mesure où la matérialité de ces deux œuvres est organisée comme un chiasme autour de l’idée de fenêtre, c’est également le châssis qui est convoqué. Par sa structure physique comme par la conception et le dispositif de vision qu’elle induit, la fenêtre entretient des rapports étroits avec le châssis. Dès lors, les deux œuvres de Perrodin constituent une réflexion sur le tableau qui offre néanmoins la particularité de n’être jamais une déconstruction purement matérielle ou une démonstration théorique mais encore des tableaux à part entière.
Karim Ghaddab