Pius FOX
Né en Allemagne en 1983 - Vit en Allemagne
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Expositions
A quoi tient la beauté des étreintes PIUS FOX LE DIVAN DES MURMURES Reste l’air et le monde…Edition
Pius FOX – 2016Entrer dans l’atelier de Pius Fox à Berlin donne immédiatement l’indice d’une prolifération, d’une prolixité de la peinture par le nombre d’œuvres qui s’y trouvent entreposées au sol, accrochées aux murs ou stockées dans les grands tiroirs d’un meuble d’archivage. Nombre de ces peintures sont des formats très réduits – des miniatures pourrait-on dire – et l’on est presque surpris de trouver au sein de cette profusion la présence de grands tableaux dont on comprend immédiatement qu’ils ne sont aucunement le prolongement des petits ou, pour être plus exact, dont on comprend que les petits formats ne doivent pas être vus et envisagés comme les esquisses, travaux préparatoires, idées, fragments, formes courtes, des grands tableaux.
L’examen du corpus réalisé depuis quelques années permet rapidement de distinguer deux groupes d’œuvres : celles qui portent un titre et les « sans titre », sans que ces groupes ne trouvent une répartition particulière entre petits et grands formats, sans que les œuvres « avec titre » ne soient exclusivement abstraites, et inversement. Il y aurait donc dans la pratique de Pius Fox une entreprise d’observation puis d’abstraction de la réalité dont l’étape finale permettrait d’accéder à une peinture donnée à voir pour elle-même, sans que n’y soit plus connectée la moindre référence à une réalité modélisée, « abstractisée ». Mais, simultanément, la distribution des titres et des « sans titre » entre les œuvres « figuratives » et les œuvres abstraites souligne une volonté de brouillage des genres et de refus de toute forme de scission entre ce qui relèverait de la réalité et ce qui serait de l’ordre d’une pure abstraction. Ces titres, nous le verrons, permettent de mettre à jour un processus qui, allant de la figuration vers l’abstraction, opère aussi un mouvement inverse de retour vers la représentation depuis l’abstraction. La gamme chromatique employée contribue à rendre possible ce mouvement de réciprocité. Les tons utilisés ne sont que rarement des couleurs pures et vont souvent chercher du côté de gris teintés qui ont la particularité d’échapper à toute possibilité de mémorisation nette : la peinture de Pius Fox est faite de tons qui s’agrandissent dans la mémoire, de couleurs à la beauté légèrement surannée. Ceci est sans doute à l’origine du sentiment de familiarité éprouvé face aux œuvres, comme si regarder cette peinture enclenchait le souvenir nébuleux d’un déjà-vu, comme si les tableaux marquaient à la fois leur ancrage dans une histoire de la peinture et dans une relation à l’observation du monde, tout en se livrant dans un dénuement qui leur soit propre.
Une tentation consisterait à vouloir considérer séparément les petites peintures des grands tableaux tant les différences d’échelles entre les deux catégories sont susceptibles de laisser penser que les miniatures puissent être les prémices des grands formats. Sur le plan formel, le passage des petits formats de quelques centimètres aux tableaux pouvant avoisiner les deux mètres de hauteur ne se joue pas sur un simple changement d’échelle mais sur une modulation de la surface, une manière différente de pratiquer la peinture. Les œuvres les plus réduites ont souvent des dimensions inférieures au A4 d’une feuille de papier et, ce n’est pas anodin, leurs formats sont souvent proches de ceux des tirages photographiques standards développés pour les pellicules argentiques. On rappellera, sur ce dernier point, que du début du XVIe siècle jusqu’à l’invention du daguerréotype, la miniature peinte sur vélin était l’unique moyen permettant de diffuser un portrait. Il est alors possible d’envisager la petitesse des peintures de Pius Fox dans une analogie avec les portraits miniatures des siècles précédents, avec leurs dimensions promptes à ouvrir une relation d’intimité. Les miniatures de Pius Fox, que l’on serait tenté de qualifier de « domestiques », engagent à cette intimité tant l’attention qu’elles semblent réclamer de la part d’un regardeur (nécessairement placé à quelques centimètres) se joue dans une relation exclusivement individuelle. Ces miniatures, donc, intiment à la contemplation, une contemplation qu’il ne faut pas entendre dans un sens romantique mais dans l’exigence d’une observation assidue de ce qui advient à l’intérieur des dimensions modestes de ces rectangles resserrés.
La proximité de ces petits formats avec ceux de la photographie donne l’indice d’un rapport particulier au réel et au « formatage » des images. En raison de leurs dimensions « photographiques », ces petites peintures – majoritairement abstraites mais pas uniquement – doivent être envisagées dans leur relation à une réalité observée par le peintre. De plus, la présence dans l’œuvre de Pius Fox de photographies que l’on retrouve parfois dans les accrochages de ses expositions, agencées au sein d’ensembles de peintures de petits formats, oriente vers ce qui peut prédisposer à la composition des peintures. Comme dans l’œuvre du peintre suisse Gilgian Gelzer, la photographie revêt chez Pius Fox un caractère de document-source dont il n’est pas impossible qu’elle subisse dans le futur une évolution, pour acquérir le statut d’œuvre à part entière comme ce fut progressivement le cas pour celles du peintre suisse. Mais si les peintures de Pius Fox ne prennent pas systématiquement appui sur de tels documents – c’est même loin d’être le cas –, elles puisent souvent leurs origines dans l’observation ou dans la remémoration de choses vues dont le souvenir finit par s’enfouir dans les compositions abstraites au point de ne plus être décelables que de façon très indicielle.
La qualité organique de ces œuvres qui refusent la distinction entre la figuration et l’abstraction leur donne une consistance tout en les maintenant dans une sensibilité et dans un rapport charnel au réel, comparable à ce qui émane des peintures de Giorgio Morandi, de Cristof Yvoré, de Raoul de Keyser, ou de Jean-Pierre Pincemin, dans des registres très différents. Il y a un plaisir assumé où les sujets représentés importent moins que la peinture elle-même, plaisir jubilatoire confirmé par la prolixité de la production des miniatures. Il y a, aussi, un plaisir à dire l’admiration pour les œuvres d’autres artistes, à reproduire la page d’un livre consacré à Henri Matisse ou les sculptures d’Auguste Rodin vues dans un catalogue – L’Homme qui marche ou Ève, dont la silhouette apparaît à plusieurs reprises dans les peintures et aquarelles de Pius Fox. Il y a un plaisir à souligner la part de secret inhérente à l’acte de regarder la peinture. Il y a un plaisir à regarder un mur et à le peindre, non pas dans une posture affectée de solitude et d’ennui dans l’atelier mais parce que ce mur, ou la fenêtre de l’atelier, le store, l’embrasure de la porte, fondent un monde en soi. L’œuvre de Pius Fox s’inscrit autant dans un héritage de la peinture abstraite que dans celui, très hétérogène, d’une histoire du plaisir de peindre où le sujet est prétexte à l’acte de peindre, à la sensation de peindre. Ainsi, les œuvres de Pius Fox appartiennent sans doute à une famille dont l’arbre généalogique, impur et bâtard, relie souterrainement Le Chardonneret de Carel Fabritius (1654), La Ruelle de Johannes Vermeer (1657-1658), le Mur à Naples de Thomas Jones (1782), L’Asperge d’Édouard Manet (1880), Porte-fenêtre à Collioure d’Henri Matisse (1914), ainsi que les peintres cités précédemment. Le sujet en peinture n’est pas la manifestation d’une volonté de montrer que ce qui est peint a de l’importance en soi. Le sujet, lorsqu’il est aussi banal qu’une porte, est le vecteur d’une expérience du regard, d’une observation appuyée qui extirpe le sujet de sa relation au réel pour donner, en peinture, une expérience du monde, de son étrangeté, de son caractère insaisissable et le basculement vers l’abstraction est à comprendre dans ce sens : une porte, le coin d’une pièce, un livre posé sur une table sont abstraits de leur réalité, comme exfiltrés. Il faut observer suffisamment longtemps un objet quel qu’il soit pour expérimenter le degré d’étrangeté et de complexité qui finit par s’en dégager. La durée du regard fonde la densité de la perception, dont seule la peinture est à même de rendre compte, en mettant en jeu la question du regard, la capacité du regard à engendrer une mémorisation de ce qui est vu ou, au contraire, l’inéluctable caractère lacunaire de tout souvenir. Oh Euridike, dans l’évocation explicite du mythe d’Orphée, pourrait de ce point de vue constituer une allégorie sur le regard, sur l’impossibilité de voir, sur la perte, l’échec, la disparition de la figure. Auflösung (« Résolution ») est une surface stratifiée, simulant le balayage électrique d’un écran mal réglé. Il y aurait un secret, un secret parfois découvert, une cachette, une accommodation nécessaire du regard pour parvenir à la bonne « résolution » de la peinture. Ou bien : il y aurait la nécessité pour le peintre de se départir de tout référent, de trouver la cachette parfaite pour élaborer un langage, comme dans la poésie de Jack Spicer : « Laissez-nous inventer une frontière – un poème où quelqu’un pourrait se cacher avec la troupe du shérif après lui. » Dans son arpentage des surfaces, dans le regard réflexif qu’elle porte sur le genre auquel elle appartient, dans sa volonté de curetage du symbolique, la peinture de Pius Fox est une poétique de la peinture.
Jean-Charles Vergne
Extrait de l’essai « Terrain de jeu », paru dans le livre Pius Fox, Clermont-Ferrand, FRAC Auvergne, 2016.