Lucy STEIN

Née en Grande-Bretagne en 1979 - Vit en Grande-Bretagne

La peinture de cette artiste anglaise qui a vécu aux Pays-Bas autant qu’en Allemagne et qui a également réalisé des films ou des performances seule ou en collaboration a été souvent catégorisée comme un travail politique décrivant le monde — et le critiquant — d’un point de vue féminin, tout comme la forme violente de ses tableaux a été perçue comme une attaque contre l’expressionnisme — style perçu historiquement comme masculin — et l’on a qualifié ce travail d’hystérique — en se basant sur une de ses déclarations — accentuant donc la question du genre comme grille de lecture de l’œuvre. L’artiste a pourtant patiemment dénié et réfuté toutes ces interprétations, refusant cette assimilation forcée que l’on ne porte qu’aux œuvres de femmes et que l’on ne songerait pas à porter à un artiste masculin : « Personne ne se demande jamais pourquoi Dostoïevski n’a jamais écrit que sur des hommes ! » a-t-elle un jour répondu1 et elle-même préfère se « décrire comme une existentialiste qui aime la bonne peinture2». Dont acte, encore que l’on puisse se demander s’il y a la moindre trace d’existentialisme dans les tableaux qu’elle produit — j’y verrais plutôt une critique sociale — et si la peinture est vraiment si bonne — il ne s’agit pas d’un jugement de valeur, j’y reviens tout de suite.

Donc, Lucy Stein fait des tableaux — entre autres — avec des figures grotesques peintes dans un style qui pourrait évoquer une reprise de Munch par un Picabia qui aurait ingurgité trop de Raoul Dufy. Le mauvais goût y est évident tout comme la tentative de non-séduction. Les peintures de Stein sont volontairement crues, mal peintes — si cette notion a encore du sens aujourd’hui — et l’on pourrait trouver beaucoup d’affinités avec Vittorio Brodmann, Corinne Chotycki (présente dans les collections du FRAC), George Condo (présent dans les collections), René Daniëls, Jutta Koether, Ella Kruglyanskaya, Sigmar Polke, Walter Swennen (présent dans les collections) ce qui ne retire rien à ses qualités ou absence de qualités. La volontairement mauvaise peinture de Lucy Stein semble un moyen de décrire notre monde, celui du tourisme de masse, de la malbouffe, de la téléréalité, de l’obsession sexuelle, de la prise massive d’antidépresseurs, des starlettes ripolinées, de la chirurgie esthétique généralisée, de la culture ravalée au rang d’ornementation, etc. On pourrait dire que cette peinture est résistante — dans tous les sens du terme —, elle nous plonge de force dans la laideur qui est la notre tout en empêchant une entreprise salvatrice quelconque de l’art par la beauté ou l’intelligence. Ainsi, à propos d’une peinture de 2014 intitulée Nuggets, elle a affirmé que « c’est la meilleure peinture parce que c’est la pire3 » et il y a de grandes chances que Linguine (l’œuvre du FRAC Auvergne) vienne la rejoindre en haut du podium.

Le grotesque pictural de l’artiste — qui m’évoque intellectuellement la peinture de Pieter Bruegel l’ancien — est un soulèvement répondant au mixage chaotique et au vortex d’acculturation généralisée qui est le notre qui nous permet de passer à la télévision de la naissance d’un lionceau à un attentat au Pakistan, d’un film de Bergman à un navet de Bollywood. Multiple, pléthorique, désordonnée, foisonnante… elle répond en peinture à notre environnement. En cela, sa déclaration : « Je veux des orgasmes multiples pas juste une grosse éjaculation4 » sonne comme un art poétique, celui de la fin du chef-d’œuvre au profit d’éclats multiples, pas toujours signifiants mais tellement jouissifs.

Eric Suchère

1 Tom Mason, « Lucy Stein Interview), dans Whitehot Magazine of Contemporary Art, mars 2008, consultable sur http://whitehotmagazine.com/articles/march-2008-lucy-stein-interview/1233, traduction de l’auteur.
2 Ibid.
3 Citée par Charlie Fox dans « Painting on the Brink of Hysteria », dans Frieze n° 168, janvier-février 2015, consultable sur http://www.frieze.com/issue/article/in-focus-lucy-stein/, traduction de l’auteur.
4 Ibid.