Larissa FASSLER
Née au Canada en 1975 - Vit en Allemagne
Si le travail de Larissa Fassler entretient un rapport évident avec l’architecture, il se construit essentiellement sur un ensemble de relevés et d’impressions dont l’artiste fait l’expérience, que l’artiste synthétise dans de grandes compositions graphiques, maquettes ou sculptures. Son travail est organisé en séries construites autour de sites urbains spécifiques : Regent Street (London 2009), la Gare du Nord (Paris 2014), Alexanderplatz (Berlin 2006), Kotti (Berlin 2008-2014), Les Halles or La Place de la Concorde (Paris 2011). Elle explore le seuil entre l’espace et les volumes, la manière dont ils sont investis et exploités. Gare du Nord III appartient à la série que l’artiste a réalisée autour de la Gare du Nord. Après plusieurs semaines d’observation quotidienne, Larissa Fassler a produit cinq grands tableaux à partir de centaines de croquis d’observation, cartographiant à main levée et à la mesure de son corps et de son regard les mouvements, actions et menus événements ayant animé au printemps 2014 la plus grande gare d’Europe.
« Je suis attirée par les lieux a priori chaotiques et les sites fébriles où des affrontements se produisent parfois. Ces sites, souvent historiquement compliqués, sont pleins de contrastes. La Gare du Nord est un de ces sites. Il est utilisé par des centaines de milliers de personnes par jour et relie le centre de Paris à sa banlieue Nord ainsi qu’à des destinations internationales : Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas et Allemagne. Les échanges qui ont lieu à la Gare du Nord soulèvent des questions cruciales sur la mobilité, l’accessibilité et l’égalité ; des questions critiques sur l’origine, l’identité, l’inclusion et l’exclusion ; des questions sur la sécurité et le contrôle au niveau national et international ; et des questions sur la pauvreté, l’absence de domicile, la précarité, et le rôle de la société et de l’État dans l’assistance à la communauté. À bien des égards, plus généralement, c’est un lieu emblématique de la France. Je suis allée à la Gare du Nord tous les jours, à différents moments de la journée, durant une à six heures chaque fois. Sur un papier A4 sur mon bloc, je dessinais dans la gare des cartes des espaces publics intérieurs. J’ai arpenté le long des murs et compté mes pas pour créer de petits plans avec des mesures, mais fragmentés, pour chaque coin de chaque niveau, de chaque tunnel, passage, cage d’escalier, escalator, ascenseur, entrée et sortie. Une fois fini, j’ai recommencé à marcher, compter et dessiner des plans, souvent pour le même secteur plusieurs fois. Ce processus a créé une série d’interprétations (ou traductions) du même espace qui diffèrent par la précision, les dimensions et les proportions. Ces cartes se chevauchent ensuite plusieurs fois dans les œuvres terminées qui les combinent. Pendant ces périodes de relevé sur place, je prenais également des notes à partir de mes observations dans un petit carnet supplémentaire. J’ai noté qui était dans la gare, en me basant sur des éléments observables, le sexe, la race, l’âge et la langue ; ce que les gens faisaient (s’embrasser, claquer des doigts, porter des sacs, demander de l’argent) ; ce que les gens portaient (saris, tissus wax aux motifs ouest-africains, tchadors, caftans, bling-bling, pantalon baggy, sweats à capuche, costumes). J’ai noté les sons, les couleurs et les odeurs. J’ai suivi les mouvements des différentes équipes de sécurité, armée, police ou gardes de sécurité en gilet orange. J’ai noté en détail les actions de contrôle et fouille de police, et les positions et angles de toutes les caméras de sécurité visibles dans le bâtiment. J’ai répertorié les différentes techniques utilisées par les gens pour passer illégalement les barrières d’accès. Je me suis souvent émerveillée par la vaste quantité de données à collecter, de données de masse, d’autant plus que j’en faisais partie dans le cadre de mon processus créatif. Dans mon cas, la collecte est un peu obsessionnelle et, parfois, même comique ou absurde. »