Katerina CHRISTIDI
Née en 1966 en Grèce. Vit à Paris
Katerina Christidi utilise le fusain appliqué sur toile pour réaliser des dessins qui, au fil des années, ont constitué un corpus singulier, baigné d’étrangeté, habité de figures énigmatiques qui empruntent autant aux représentations humaines archaïques qu’au grotesque. Ses dessins s’inscrivent au sein d’un vaste héritage allant de Quentin Metsis (Vieille Femme grotesque, 1515) à Paul Klee (Inventionen, 1906), en passant par les gravures de Francisco de Goya (Les Caprices, 1799), d’Odilon Redon, de Johann Heinrich Füssli, etc. La matière graphique est intense, d’une extrême densité. Chacun de ses dessins semble ainsi se noyer dans sa propre matière noire, fondant les motifs dans une relative indiscernabilité. Ses œuvres ne sont jamais abstraites mais elles semblent vouloir procéder à l’enfouissement de leurs figures aux confins de la poussière de charbon. Les figures de Katerina Christidi surgissent à peine du fond diffus du temps, comme si elles affleuraient à la surface du papier, extirpées d’origines lointaines, à la fois primitives et familières, à la fois masques et visages, à la fois corps étendus et fétiches issus de statuaires ancestrales. Les dessins ne peuvent s’appréhender qu’en tenant compte de cet enfouissement et de cette ambivalence, appuyée par une rythmique de dédoublement gémellaire des formes, des têtes, des corps. Sur l’un de ces dessins, il faut à l’œil du spectateur un temps d’accoutumance, comme s’il s’agissait d’écarquiller les yeux dans l’obscurité pour qu’apparaissent, au-delà de l’inextricable voile de poussière sombre, les contours de têtes hybrides derrières lesquelles semblent se dissimuler deux autres têtes aux chevelures de Gorgones, à peine sorties d’une nuit noire. Sur le second dessin aux valeurs plus claires, ce sont deux masses anthropomorphes superposées, vestiges de rites funéraires anciens, sarcophages mi-hommes mi-oiseaux, entités issues de croyances ou de mythes, surmontées par deux béances d’un noir absolu. Dans les dessins de Katerina Christidi, les motifs et les représentations humaines semblent toujours en flottement entre deux espaces – celui de la profondeur et celui de la surface du papier – jamais tout à fait évanescents, jamais totalement présents. Il en va de ce flottement comme d’un stade intermédiaire, une latence des formes dans un monde de l’entre-deux. Comme si, finalement, ces dessins avaient été le fruit de transformations, de secousses intérieures, de révélations surnaturelles. Cette révélation est littéralement partie prenante du processus des dessins : l’artiste est toujours positionnée au plus près de la toile pour exécuter ses traits répétitifs, perdant la vue d’ensemble afin de laisser les figures se révéler lentement à elle, comme si ces figures spectrales n’étaient que les réminiscences de visions extralucides.
Jean-Charles Vergne