Corinne CHOTYCKI
Née en France en 1980 - Vit en Belgique
La peinture de Corinne Chotycki est une sorte de cocktail dans lequel seraient mélangées un peu de peinture allemande façon Martin Kippenberger ou Jörg Immendorff avec un peu de peinture française façon Francis Picabia ou Michel Gouéry. C’est-à-dire figuration romantico-expressive assez idiote ou caricaturale et un mauvais goût au carré de l’image peint avec un certain bon goût pouvant virer rapidement à l’infecte. Mais, si ces comparaisons permettent de se rassurer et de s’y retrouver devant une proposition nouvelle, elles ne rendent pas fidèlement compte de la spécificité de ce que l’on voit, ni du caractère improbable d’un tel mélange. D’ailleurs, Corinne Chotycki ne revendique pas forcément ces artistes et irait plutôt voir des peintres comme René Daniëls, Edward Dwurnik, Raoul de Keyser, Jutta Koether, Lee Lozano, Sigmar Polke ou Andreas Schulze, peintres œuvrant pour certains dans l’excès avec une radicalité caricaturale souvent teintée d’humour et toujours décalée, voire en marge.
Comme beaucoup de ces artistes, la peinture de Corinne Chotycki traite d’images improbables : véliplanchiste sur une mer calme et sur fond de ciel bleu, clocher pénétrant dans des fesses orange, forêts sombres et couchers de soleils et grottes avec jets d’eau plus instruments de musique, cygne dans une mare abstraite, tourne-disque intégré à une architecture élémentaire, trompette d’où pendent deux clochettes de bouffon… donc, tout une imagerie fantasmatico-onirique hétéroclite et monstrueuse qui frappe par son non-sens et qui peut se transformer assez aisément en des peintures abstraites. Une peinture qui s’intitule Le hibou (2008) ne garde du hibou qu’une structure et articule des plans delaunesques sur un fond de projection de gouttelettes multicolores, tout comme Raoul, une des œuvres de la collection du FRAC Auvergne. Les forêts et paysages mélancoliques du Paravent (2008) sont articulés avec des instruments de musique qui se métamorphosent en jeux de surfaces amorphes. Il est difficile de voir l’ornithorynque dans la peinture du même nom. Quant à Pils (2008), il s’agit tout bonnement d’une peinture abstraite. Comme l’affirme l’artiste : « On peut la dire figurative, par moment abstraite, exceptionnellement symboliste et lyrique à l’occasion. C’est de la peinture1. » Une peinture faite de surfaces mates d’une grande subtilité chromatique peinte d’un coup, à tempera, et supportant donc peu les repentir, dans une grande rapidité perceptible dans le geste – c’est dire que cette peinture va à l’essentiel dans ses effets, qu’elle ne s’encombre d’aucun superflu.
Si cette peinture marie la carpe et le lapin, ce n’est pas par plaisir du mauvais goût et de l’idiotie – même si je suppose que Corinne Chotycki doit parfois bien rire devant les images qu’elle produit –, c’est par plaisir de l’analogie formelle. Les passages multiples entre figuration et abstraction produisent des analogies qui donnent soit des formes figuratives, soit des formes abstraites. Une manière de poser la couleur peut devenir un cygne ou un cygne peut devenir une étendue de coups de brosses : « Je choisis des éléments qui permettent de jouer avec des analogies. Et ces éléments, je les choisis selon la façon dont ils permettent une application de la peinture particulière : la mer par exemple, l’éventail ou le disque du soleil. Des traces de pinceau deviennent des vagues et des aplats noir et blanc alternés donnent un éventail, un escalier. Ce sont avant tout des surfaces peintes2. » Mais s’il y a quelque chose qui éloigne cette peinture du surréalisme, ce sont ses considérations picturales. Il ne s’agit pas de provoquer l’image par une méthode, il s’agit aussi de produire des effets picturaux improbables. En cela, cette peinture est très formelle, comme le signale l’artiste : « Je construis un tableau à partir de notions abstraites. Le rythme, la tension, un mouvement ou une certaine association de couleurs est à l’origine d’un tableau. Ce n’est pas le besoin de représenter deux pyramides ou trois punaises par exemple. C’est la curiosité de voir comment ça peut tenir. Je veux voir à quoi ça tient3. »
Éric Suchère
1- « Entretien avec Philippe Cyroulnik, décembre 2011 », dans Parti Pris, Montbéliard, le 19, 2012, n. p.
2- Ibid.
3- Ibid.