Alan DAVIE
Né en Grande-Bretagne en 1920 - Décédé en 2014
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Musicien, écrivain et peintre, Alan Davie a été grandement influencé par Picasso, Klee et les arts dits « premiers ». Dès 1948 son travail s’inscrit dans la lignée du surréalisme, un surréalisme plus préoccupé par la matière et les associations qu’elle fait naître que par l’imagerie et la représentation du rêve ou de l’inconscient. Sa peinture est alors abstraite et évoque grandement l’expressionnisme abstrait de l’école de New York dans l’utilisation de l’improvisation et par l’influence des archétypes jungiens. À partir des années 1950, des symboles apparaissent dans ses œuvres dans une imagerie marquée par le bouddhisme zen autant que par la magie et dans une facture pseudo-naïve prenant ses sources dans les arts populaires du monde entier (Amérique du Sud, Afrique, Australie, Europe).
L’œuvre du FRAC, datant de la fin de sa vie, est marquée par une plus grande destruction de l’image et une exécution hâtive presque grossière proche d’un barbouillage quasi-enfantin. Dans le documentaire intitulé Alan Paints For a Film, on peut le voir réaliser cette peinture — d’où son titre. L’artiste passe instantanément d’une zone à une autre, sans plan préétabli dans une improvisation constante. Ainsi, « Alan Paints » (Alan peint) inscrit en bas de la toile, se poursuit dans la partie supérieure par « For a film » sans qu’il y ait de logique sinon la destruction de celle-ci dans une confusion revendiquée. Le pinceau est rechargé de la première couleur trouvée dans un monticule de peinture où toutes les tonalités se mélangent faisant passer cette inscription du brun au violet puis de nouveau au brun puis au jaune en un acte laissant peu de place à la réflexion. Parfois le pinceau est tenu entre le pouce et l’index parfois à l’intérieur de la paume dans un geste frotté et énergique volontairement rudimentaire.
Des symboles anthropomorphes et des représentations zoomorphes (une vache par exemple) entrelacés de fragments d’écriture (Alphabet, Thursday morning, For a film, 26th of February, 11-50 AM, Déjà, Joy, 2 x 3) émergent difficilement d’un chaos de couleur boueux sinon par quelques pictogrammes d’une valeur plus claire. Cette présence du chaos est primordiale pour Davie et l’une de ses réflexions, dans le documentaire, est « Painting is so messy » (La peinture est si sale/bâclée/désordonnée).
Ces différents éléments (incohérence du propos, improvisation, exécution rudimentaire, chaos permanent) apparaissent comme autant de moyens pour faire advenir un art pré-culturel ou primitiviste retrouvant ou évoquant des archétypes où la représentation peut faire office de rite chamanique ou préhistorique (la vache), une forme abstraite peut ressembler à une écriture idéographique, les mots sembler être des graffitis et le recouvrement des uns par les autres peuvent faire écho à des strates culturelles et historiques dans un syncrétisme constant ou rien ne domine réellement, en un chaosmos pour reprendre un des termes forgés par James Joyce dans Finnegans Wake — une de ses influences —où les sens se délitent et se recombinent sans cesse. C’est dans ce matérialisme que peut naître la magie ainsi que l’artiste le précisait avec humour et tendresse : « Imaginons un homme des cavernes, les murs de la caverne sont poussiéreux… par hasard il trace deux signes sur la paroi et soudainement il voit, dans ses signes, un animal. “Regardez”, dit-il à ses amis, “Venez voir cela ! C’est magique !” Et ils se mettent à faire de plus en plus de signes et ils pensent qu’ils peuvent faire ce travail magique pour eux-mêmes. Je trouve cela merveilleux de penser à cela. C’est extraordinaire1. »
Eric Suchère
1- Roger Cox, « Alan Davie Interview: Outsider looking in », The Scotsman, 30 avril 2009, publié en ligne, traduit par l’auteur.