Yuri KOZYREV
Né en Russie en 1963 - Vit en Russie
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Expositions
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L’oeil photographique – 2013Yuri Kozyrev est sans doute le photojournaliste le plus expérimenté sur l’Irak. Récompensé à maintes reprises par les prix les plus prestigieux du photojournalisme, dont les fameux World Press Photo Awards qui lui ont été décernés six fois, il est celui qui aura passé le temps le plus long sur le territoire irakien, après avoir arpenté des années durant les territoires en guerre de Tchétchénie et d’Afghanistan. C’est en qualité de photographe pour Time Magazine qu’il passe près de sept ans en Irak. Arrivé plusieurs mois avant que la guerre ne débute, il est toujours présent après le départ des américains. Ses photographies sont exemplaires, par leur rareté, par la précision des choix qu’elles opèrent, par leur lucidité, du travail qu’un photojournaliste peut réaliser en immersion dans le fracas d’événements qui n’appartiennent pas encore à l’Histoire mais l’écrivent sous ses yeux. Dans la préface du petit livre consacré à ses photographies d’Irak, le grand reporter Lucas Menget écrit : « A chaque grande guerre son photographe. Capa pour la guerre d’Espagne, Griffiths pour le Vietnam… et Kozyrev pour l’Irak. […] Au fil des mois, Yuri Kozyrev a vu ce pays basculer. Ses premières images étaient celles d’une guerre « classique ». Au fur et à mesure, les personnages sont devenus plus sombres. Les morts et les blessés se sont accumulés, dans les rues et sur ses pellicules. A regarder de près […] on y lit la détresse, l’angoisse, mais avant tout la peur.1 »
Captures à Falloujah, arrestation de terroristes, recherche de snipers, tirs américains vers des positions ennemies, ces photographies montrent les aspects les plus offensifs de cette guerre. Elles montrent aussi les temps morts, l’attente, l’ennui, le repos des soldats, leurs regards. Ces images, réalisées dans le cadre strictement imparti par les règles militaires, sont soumises au contrôle rigoureux que les Etats-Unis imposent, depuis la guerre du Vietnam, à toutes les images issues de théâtres d’opérations armées. Simultanément, les photographies de Yuri Kozyrev se placent aussi du côté des civils, exposent la dislocation d’une société déchirée, de familles décimées, de mères implorant que leur soient rendus les enfants morts ou capturés pour actes de terrorisme. La collection du Cnap a fait l’acquisition de douze photographies de la série Inside Iraq, dont la particularité est d’être à tirage illimité, fait rarissime pour une collection publique qui à lui seul en dit long sur la volonté de conserver de telles images dans une collection dédiée aux arts plastiques principalement constituée autour d’œuvres uniques ou à tirage très restreint. La conservation de telles photographies dans ce contexte offre de fait un point de vue particulier sur ces œuvres et pose l’épineux problème de l’esthétisation de l’image de guerre et, plus globalement, d’une lecture qui passerait par le crible de l’histoire de l’art. Ainsi, cette photographie d’un groupe de soldats autour d’un feu de camp prise à Anah ne peut-elle pas faire surgir le souvenir de peintures de Caravage ou de Georges de La Tour ? L’image de ce Marine assis dans la pénombre d’une pièce dénudée, éclairé par la lueur de la fenêtre qui point sur son visage, ne ravive-t-elle pas les Annonciations ou les compositions de la peinture flamande ? C’est toute l’ambigüité de ces photographies que Yuri Kozyrev n’a certes pas composées en ayant à l’esprit de telles références mais dont la structure, la lumière, l’atmosphère, entrent en résonance avec les grands stéréotypes picturaux qui, tels des fantômes, surgissent inopinément dans le regard du spectateur, installant, il faut bien le souligner, un certain malaise. Nous voudrions pouvoir regarder ces images sans jamais les teinter d’un tel matériau historique, mais ce matériau historique fait irruption ; nous ne pouvons faire autrement que de voir ces images en les doublant d’analogies aux œuvres du passé. Nous voudrions pouvoir ne pas le faire, nous ne pouvons y parvenir. Nous avons à l’esprit que les peintres des siècles précédents rendaient compte, eux aussi, de la brutalité de l’histoire car ils étaient les seuls producteurs d’images, mais nous ne pouvons nous résoudre à accepter que la valeur de ces photographies puisse se mesurer à l’aune de la peinture d’histoire, etc.
Jean-Charles Vergne
1- Lucas Menget, « Préface », Yuri Kozyrev, Inside Irak, Visa pour l’Image 2008, Editions C.D.P., pp.8-9.