Pierre MOIGNARD

Né en France en 1961 - Vit en France

La peinture de Pierre Moignard a été remarquée assez tôt, au milieu des années 1980, par Fabrice Hergott qui, après une première exposition à Saint-Étienne, l’accrocha, en compagnie de Vincent Corpet et de Marc Desgrandchamps, au Musée National d’Art Moderne. Pierre Moignard y montrait une peinture figurative et colorée pouvant évoquer aussi bien Matisse, que Picasso, Jean Hélion et Jean Dubuffet. Mais, plus que ces possibles références, l’élément le plus frappant pour le spectateur était sans doute le sujet de ces peintures : des scènes religieuses tirées principalement de la Passion du Christ – dans d’autres séries, l’on retrouvait des références à Poussin ou à Cézanne dans des sujets tout aussi classiques. Dès lors, l’on pouvait faire deux remarques sur cette peinture. La première, que la question du sujet était primordiale et qu’il s’agissait non pas simplement de faire une peinture figurative, mais de se confronter, avec celle-ci à la question au fameux « que peindre ? », avec le sens du pictural. La deuxième est que cette œuvre s’ancrait dans une relation à l’histoire de la peinture qui dépassait largement les citations habituelles des avant-gardes, non pour se définir simplement picturalement, mais parce que cet art est le médium qui, historiquement, traite de l’image.

Dans les années 1990, cette approche du sujet semblait avoir disparu ou inféoder moins la pratique de Pierre Moignard : série d’autoportraits vues frontalement et exécutés dans un protocole strict ou monstres composites évoquant, dans la surface, la peinture d’un Francis Bacon et son pathos organique.

Au début des années 2000, Pierre Moignard effectuera un voyage de quelques mois aux États-Unis, en Californie, à Los Angeles et ses environs. C’est à Venice Beach qu’il va trouver la matrice des peintures suivantes. Venice Beach est, certes, un lieu ou habitent quelques stars, mais est aussi un décor où de nombreux films ont été tournés – cette dimension cinématographique du lieu me semble essentielle pour comprendre la peinture de Pierre Moignard – et, enfin, il arrive de voir, sur la plage, des sans abris, allongés sur leurs duvets, masses informes et molles, comme épave ou animal échoués sur le rivage1. Comme l’écrit Didier Ottinger : « Elle résumait [la chose] les contradictions d’une culture, fascinante et cruelle, était la synthèse d’une attraction sublime inspirée par les espaces infinis, disait le lyrisme de la puissance et de la réussite, mais aussi son revers, la cruauté qui laisse au bord du chemin, celui dont la force et l’espoir vacillent2 ».

La peinture de Pierre Moignard n’est pas, heureusement, que la transposition de cette vision, mais un point de départ qui l’amène à traiter du paysage et de sa ruine, de la désolation de l’hédonisme, de l’absorption dans un espace qui tient plus du conte (moral) que d’une représentation réaliste. No man’s land ou « terre gaste » jonchée d’épaves et peuplée d’animaux caricaturaux, ces paysages peints d’une touche généreuse dans une pâte onctueuse d’un geste parfois proche de l’esquisse ou de la pochade, égrènent des couleurs acides et un peu forcées qui renforcent le caractère critique et ironique de ces représentations. La réussite – au sens pictural du terme – des peintures est souvent mise à mal par une composition volontairement déséquilibrée, un signe un peu trop présent ou une naïveté appuyée comme ces petits indices de décor qui figurent dans la peinture acquise par le FRAC Auvergne. Elle m’évoque, en cela, la poésie d’un T. S. Eliot, faite de va-et-vient entre le sublime et le trivial, la plus grande élégance et le ton populaire, le mythe et le réel.

Eric Suchère

1 Une photographie montrant un vagabond sur la plage figure en couverture de la plaquette consacrée à Pierre Moignard par la galerie d’Art contemporain Jean Boucher de Cesson-Sévigné, 2004.
2 Op. cit., n. p.