Elly STRIK
Née aux Pays-Bas en 1961 – Vit en Belgique
Depuis 1985, Elly Strik peint des portraits, généralement exécutés à l’huile et au graphite sur de grandes feuilles de papier. Elle s’oriente dans les années 1990 vers une recherche essentiellement tournée vers la question de l’autoportrait, à laquelle vient s’ajouter à partir de 2001 l’emploi de masques qu’elle pose sur son visage avant de réaliser une photographie d’elle-même pour s’en servir de base de travail. Dans un texte consacré au portrait, le philosophe belge Bart Verschaffel insiste sur la dynamique du visage comme manifestation d’un mouvement allant de l’intérieur vers l’extérieur, comme « lieu où la vie intérieure passe dans le monde visible ». Le portrait, et peut-être plus encore l’autoportrait, délivre un récit dont la part allégorique peut être, par ailleurs, puissamment augmentée par l’adjonction d’objets, de masques, posant ainsi une énigme sans réponse sur ce qu’est finalement un visage.
Beaucoup de fleurs joue sur le registre de la transparence en superposant un voile de dentelle à la structure complexe et délicate du visage translucide, comme passé à la radiographie. La composition obtenue rappelle l’imagerie populaire et religieuse de la fête des morts mexicaine, célébration initiée par la civilisation Aztèque où les masques, squelettes, maquillages et costumes folkloriques accompagnent le retour temporaire sur terre des êtres chers décédés au cours de libations festives. De ce point de vue, la peinture d’Elly Strik peut donc être envisagée – au sens littéral – sous l’angle du festif et de la libation joyeuse, mais cela n’est finalement que très commun pour de nombreux rituels ancestraux dans lesquels la monstruosité et le mortifère ne sont que des apparences qui n’ont pas vocation à être anxiogènes.
Mais, simultanément, le visage peint par Elly Strik est habité par une étrange beauté urticante, croisant simultanément le masque mortuaire, le crâne et la vanité, la figure de la femme voilée et celle de l’endeuillée, ne laissant intacts que les yeux, fixes et sidérants, partiellement couverts de cette résille proliférante comme une moisissure. La peinture d’Elly Strik entretient une analogie avec les différentes représentations féminines oraculaires qui traversent l’histoire, la littérature et l’art depuis les temps les plus reculés. Elle est tout autant la figure extralucide de la Pythie grecque que celle de la Némésis appliquant impitoyablement le châtiment des dieux. Elle est à la fois l’oracle, la voyante, la figure de sorcellerie, la face burlesque des traditions folkloriques, le masque vaudou et l’apparition fantomatique. Sa présence physique se mesure à la tension mortuaire induite par ses orbites, ses cavités nasales, sa dentition : simultanément chair et ossuaire, elle flotte entre les mondes, établissant un lien entre les vivants et l’au-delà. Figure archaïque de la femme omnipotente, douée d’ubiquité, tour à tour source de vie et sorcière frappée d’anathème, elle renoue avec de nombreuses représentations ancestrales.
Jean-Charles Vergne