Les œuvres de Marc Bauer procèdent d’une archéologie, elles creusent dans le passé et font remonter à la surface du temps les restes froids des tragédies anciennes pour les accommoder avec les fêlures du présent. Ses dessins, souvent scandés par la présence de textes lapidaires, parfois violents, en appellent à une poétique singulière, mélancolique autant que vénéneuse.
Cette exposition est la troisième de l’artiste au FRAC Auvergne et clôt un cycle débuté il y a une douzaine d’années. En 2009, l’exposition Laque et le livre Steel concernaient la question du pouvoir. En 2014, Cinerama et le livre The Architect poursuivaient la réflexion sur la question de l’interprétation des événements historiques. Avec L’État de la mer et le livre White Violence, la perspective historique est résolument plus frontale car plus actuelle, tournée vers la violence de la tragédie migratoire dont nous sommes les témoins.
Le point de départ de ce projet fut une image parue le 12 juin 2018 dans le quotidien Le Parisien. Elle montrait le navire Aquarius sauvant des migrants des eaux de la mer Méditerranée. À partir de ce document, Marc Bauer entreprend des recherches approfondies, parcourant l’histoire de l’art en quête de naufrages et de drames maritimes, établissant des liens entre l’autrefois et le maintenant pour pointer la violence contemporaine en la soulignant par ses précédents historiques. De l’art égyptien aux ex-voto, de l’antiquité grecque au scandale de la Méduse peint par Géricault, des gravures de négriers aux images de déportés juifs, du traitement des migrants vendus tels des esclaves en Libye jusqu’aux déclarations de l’ex-ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini, il s’agit de viser le présent, notre présent. Comme le précise l’artiste à propos de la crise migratoire, «le traitement médiatique de ces drames met principalement l’accent sur le nombre de morts, de disparus ou de rescapés mais rarement sur le destin individuel de ces personnes. L’information est traitée d’un point de vue très euro-centré, blanc, avec tous les préjugés raciaux que suppose une telle vision. Je pense aussi que chacun de nous ressent un certain malaise face à ces images, car à les voir, on sent bien que ce qui nous place du « bon côté », c’est-à-dire celui des privilégiés, est purement le fruit du hasard.»
Vue de l'exposition
MEMENTO
Rencontre entre les collections du FRAC Auvergne et du musée Crozatier
Cette exposition, conçue sous la forme d’un dialogue entre les œuvres conservées par le Musée Crozatier et les œuvres contemporaines de la collection du FRAC Auvergne, se fonde autant sur la grande tradition du memento mori que sur la volonté d’établir des liens entre ce que nous voyons, ce que nous relions, ce que nous oublions. Deux parcours sont ainsi juxtaposés.
Le premier se déroule le long des salles d’exposition permanente du musée, par une série de dialogues entre les œuvres des deux collections. Le propos est multiple et s’attache autant à la mise en perspective de connexions entre les ouvres issues d’époques éloignées qu’à la tentation de la friction inattendue. Certains rapprochements montrent l’héritage dont sont redevables les artistes d’aujourd’hui par la façon dont ils perpétuent les grands genres artistiques du passé. D’autres dialogues s’établissent au contraire sur un besoin de confrontation, de contrastes volontairement appuyés.
Le second parcours occupe la salle d’exposition temporaire en établissant un dialogue entre les œuvres de la collection du FRAC et des œuvres du musée spécialement sorties des réserves du musée, pour certaines invisibles au public depuis longtemps, réactivant ainsi le souvenir de ces créations et objets parfois oubliés. Dans cette salle, les origines du memento mori donnent l’impulsion à l’élargissement du genre vers d’autres formes de représentations : souvenirs intimes, événements historiques tragiques, fragilité des corps, relation à la culpabilité et à la victimisation, beauté de l’éphémère, fascination mêlée de révulsion pour ce qui, après nous, demeurera de nous…
CHARLES ROSTAN
Invité une nouvelle fois par le Domaine Royal de Randan, le Fonds Régional d’Art Contemporain Auvergne a souhaité convier l’artiste clermontois Charles Rostan. Pour cette exposition, le FRAC Auvergne a sélectionné douze portraits de femmes et d’hommes dont les histoires singulières se mêlent à l’histoire intime de Charles Rostan qui, à l’âge de 6 ans en 1975, a fui le Vietnam avec sa famille pour venir s’installer en France. Son parcours le tient par la suite éloigné du monde de l’art – après des études de comptabilité, il crée en 2008 sa société d’audiovisuel –mais la réalisation de documentaires l’amène à pratiquer la photographie qui prend bientôt une place essentielle dans sa vie.
Le portrait s’impose d’emblée comme une évidence pour cet artiste qui trouve là un moyen d’aller à la rencontre de l’autre – lui qui avoue être de nature assez timide – pour recueillir les témoignages de celles et ceux qui, comme lui, ont connu l’exil. À l’instar de Frantz, d’origine polonaise arrivé en France à 7 ans après que sa famille ait fui le nazisme, de Toumicha, qui a quitté sa Tchétchénie natale après avoir vécu les pires horreurs, de Regragui, d’origine marocaine que Charles Rostan a rencontré dans le même foyer qui l’avait accueilli, lui et sa famille, en 1975. Et puis Duc et son air éternellement enfantin, Fatou, Raze, Kwasi… Ces portraits sont autant la trace d’un instant de vie partagé avec le photographe qu’une tentative de résister à l’oubli qui guette ces existences. C’est toujours en se plaçant au plus près de ses sujets que Charles Rostan capture ces visages sur lesquels se lisent les traces du temps, les sillons laissés par des parcours de vie tourmentés. La réussite de ces portraits, d’une intensité rare, tient sans nul doute à la relation de confiance que l’artiste prend soin d’instaurer longuement avant la prise de vue – qui sera, à l’inverse, très rapide pour conserver toute l’authenticité de ces instants partagés. Ce faisant, Charles Rostan nous confronte à l’autre, aux drames intimes, aux histoires individuelles dont les singularités agissent comme autant d’indices de notre mémoire collective.