Invité une nouvelle fois par le Domaine Royal de Randan, le Fonds Régional d’Art Contemporain Auvergne a souhaité convier l’artiste clermontois Charles Rostan. Pour cette exposition, le FRAC Auvergne a sélectionné douze portraits de femmes et d’hommes dont les histoires singulières se mêlent à l’histoire intime de Charles Rostan qui, à l’âge de 6 ans en 1975, a fui le Vietnam avec sa famille pour venir s’installer en France. Son parcours le tient par la suite éloigné du monde de l’art – après des études de comptabilité, il crée en 2008 sa société d’audiovisuel –mais la réalisation de documentaires l’amène à pratiquer la photographie qui prend bientôt une place essentielle dans sa vie.
Le portrait s’impose d’emblée comme une évidence pour cet artiste qui trouve là un moyen d’aller à la rencontre de l’autre – lui qui avoue être de nature assez timide – pour recueillir les témoignages de celles et ceux qui, comme lui, ont connu l’exil. À l’instar de Frantz, d’origine polonaise arrivé en France à 7 ans après que sa famille ait fui le nazisme, de Toumicha, qui a quitté sa Tchétchénie natale après avoir vécu les pires horreurs, de Regragui, d’origine marocaine que Charles Rostan a rencontré dans le même foyer qui l’avait accueilli, lui et sa famille, en 1975. Et puis Duc et son air éternellement enfantin, Fatou, Raze, Kwasi… Ces portraits sont autant la trace d’un instant de vie partagé avec le photographe qu’une tentative de résister à l’oubli qui guette ces existences. C’est toujours en se plaçant au plus près de ses sujets que Charles Rostan capture ces visages sur lesquels se lisent les traces du temps, les sillons laissés par des parcours de vie tourmentés. La réussite de ces portraits, d’une intensité rare, tient sans nul doute à la relation de confiance que l’artiste prend soin d’instaurer longuement avant la prise de vue – qui sera, à l’inverse, très rapide pour conserver toute l’authenticité de ces instants partagés. Ce faisant, Charles Rostan nous confronte à l’autre, aux drames intimes, aux histoires individuelles dont les singularités agissent comme autant d’indices de notre mémoire collective.
Vue de l'exposition
JEAN-CHARLES EUSTACHE - FROM DUSK TO DARK
En 2020, le FRAC Auvergne a bénéficié d’un important don de quinze peintures souhaité par Jean-Charles Eustache, augmentées de deux acquisitions effectuées parmi les toutes dernières œuvres peintes la même année. La collection du FRAC Auvergne entretient depuis plusieurs années une relation suivie avec l’œuvre de l’artiste. Deux séries d’acquisitions, en 2010 et en 2016, avaient permis de réunir les deux grands moments de sa recherche picturale, moments souvent assimilés un peu hâtivement à une période figurative suivie d’une seconde période au cours de laquelle son œuvre se serait tournée vers l’abstraction.
Il y aurait ainsi une première période – jusqu’en 2014 – consacrée à la représentation de souvenirs, à la remémoration de lieux et de paysages, avec des peintures dont la surface déliquescente impulse aux images un délabrement comparable à celui que produit une source de chaleur sur une photographie, imageant les fêlures et les symptômes d’une mémoire incertaine et lacunaire.
Il y aurait ensuite une seconde période – de 2015 à 2019 –, marquée par un changement notable, où la figuration se serait mise en retrait au profit de peintures abstraites constituées de grilles, d’aplats colorés, de reliefs en trompe-l’œil. Rien d’abstrait pourtant dans ces œuvres pour lesquelles Jean-Charles Eustache évoque autant la lente évolution du soleil sur la façade d’un immeuble situé en face de son atelier que le souvenir des perspectives observées sur les peintures du 15e siècle de Piero della Francesca ou de Paolo Uccelo. Les peintures les plus récentes, réalisées en 2020, renouent avec une figuration plus manifeste démontrantainsi leur inscription cohérente au sein d’une continuité.
Un ensemble de vingt-quatre peintures est désormais conservé par la collection du FRAC Auvergne. Les paysages désagrégés par une mémoire incertaine, les souvenirs parcellaires de l’enfance vécue en Guadeloupe, la contemplation mélancolique du monde, le regard porté sur la puissante beauté d’abstraction de la lumière solaire du crépuscule à la pénombre et de la pénombre au crépuscule demeurent les sujets de prédilection de cette peinture exclusivement faite de formats réduits intimant au regard une proximité qui est en premier lieu celle du peintre avec chacun de ses tableaux.
Deux expositions simultanées, FROM DUSK TO DARK et FROM DARK TO DUSK se répondent au FRAC Auvergne et à la Galerie Claire Gastaud situés face à face dans la même rue et scellent la collaboration entre l’institution et la galerie par la publication du premier livre consacré à l’œuvre de Jean-Charles Eustache, diplômé en 2004 de l’École Supérieure d’Art de Clermont Métropole.
Jean-Charles Vergne
Directeur du FRAC Auvergne
Commissaire des expositions FROM DUSK TO DARK et FROM DARK TO DUSK
MARINA RHEINGANTZ
Les peintures et les broderies de Marina Rheingantz se nourrissent de la remémoration des paysages brésiliens, des souvenirs de la compacité de la terre, de la lumière et de ses variations, du nébuleux atmosphérique des crépuscules, de la dissémination pointilliste des oiseaux dans le ciel, du surgissement en grappes de fleurs et d’arbustes, de monticules émergés à la surface des plaines inondées…
Peindre des paysages, aujourd’hui, ne peut s’envisager sans la conscience de l’incongruité et de l’inactualité d’un tel sujet. Peindre des paysages ne peut se départir de la conviction qu’un tel sujet – historiquement épuisé – puisse être encore abordé, surtout si l’on garde à l’esprit une banalité qu’il est toujours bon de rappeler, à savoir qu’une peinture est d’abord le récit d’un regard posé sur quelque chose : la peinture raconte la manière dont le regard du peintre s’est posé sur son sujet avant de le déposer sur son support. Ce que nous voyons des paysages de Marina Rheingantz ne sont pas les paysages eux-mêmes mais un regard singulier porté sur ces étendues, la façon dont elle les voit avec la mémoire, dans le feuilletage de plans et de motifs, les plongées aériennes d’étendues sans horizon parsemées de motifs en suspension, d’agglomérats de lumière, de poussières, de phosphènes, de nuées d’éphémères microscopiques, pailletées de particules de réel figées en apparence et pourtant toujours mouvantes. Le regard est mis aux arrêts, stoppé dans son arpentage par la résistance de la peinture, par la compacité de sa surface, par la trame de motifs et de signes qui en parsèment les aires et s’y superposent comme des filtres ajourés.
Jean-Charles Vergne
Extrait du texte « Arrêté sans être fixé », dans Marina Rheingantz
Clermont-Ferrand, Editions FRAC Auvergne, 2021.