Le FRAC Auvergne est heureux de poursuivre sa collaboration avec la ville de Saint-Flour et présente sa nouvelle exposition intitulée Regarde de tous tes yeux, regarde réunissant une sélection d’artistes qui aborde le paysage dans ce qu’il a de plus familier, de plus ordinaire. Aucune emphase ni démonstration de force dans ces représentations, il s’agit là au contraire d’accorder sa place à l’infime, au détail, « à toutes ces choses simples dessinées entre le crépuscule et le ciel. 1 »
Les artistes présents dans cette exposition rendent compte de l’infini d’un monde entièrement contenu dans la légèreté d’une feuille reposant au sol, dans l’éclosion colorée des fleurs d’un jardin, dans le hasard d’un reflet, dans la force d’irruption d’un éclat de lumière. Des « choses simples » vers lesquelles l’attention du visiteur est portée, se trouvant guidée par l’injonction contenue dans le titre de cette exposition : « regarde de tous tes yeux, regarde ». Ces mots sont ceux lancés à Michel Strogoff, héros du roman de Jules Verne (1876), quelques instants avant qu’il ne perde la vue. C’est donc dans l’urgence de la situation que Michel Strogoff reçoit ces mots, ressentant l’impérieuse nécessité de dévorer du regard ce qui l’entoure, de cette intensité pareille à celle qui teinte l’expérience des dernières fois.
Loin du destin tragique du héros de Jules Verne, on retrouve sans doute quelque chose de cet impératif, de cette intensité dans le regard des artistes de cette exposition, dans cette attention accrue qu’ils portent à l’anodin. Ciel crépusculaire, surface brillante du plastique qui recouvre les bottes de foin, souvenir d’un paysage d’enfance, miroitements colorés à la surface de l’eau, motif bucolique de fleurs, lobes crénelés des feuilles de figuier, nuances ocres de feuilles d’automne, mousses de sous-bois… Devant ces portions de paysage a priori banales, on se surprend à s’attarder plus longuement que d’ordinaire, comme si l’attention que leur témoignaient les artistes nous les rendaient soudainement à la vue. Une définition ancienne du verbe « émouvoir » nous rappelle que le premier sens du mot est « se mettre en mouvement ». La précision importe ici puisqu’elle suggère que cette expérience du sensible ne peut advenir sans une perception renouvelée de la déambulation conjuguée à un mouvement de l’esprit dans lequel, délié de nos certitudes, on se laisserait aller au plaisir simple de l’inattendu.
1 René Char, De moment en moment, 1965, in La Postérité du soleil.
Vue de l'exposition
MARINA RHEINGANTZ
Les peintures et les broderies de Marina Rheingantz se nourrissent de la remémoration des paysages brésiliens, des souvenirs de la compacité de la terre, de la lumière et de ses variations, du nébuleux atmosphérique des crépuscules, de la dissémination pointilliste des oiseaux dans le ciel, du surgissement en grappes de fleurs et d’arbustes, de monticules émergés à la surface des plaines inondées…
Peindre des paysages, aujourd’hui, ne peut s’envisager sans la conscience de l’incongruité et de l’inactualité d’un tel sujet. Peindre des paysages ne peut se départir de la conviction qu’un tel sujet – historiquement épuisé – puisse être encore abordé, surtout si l’on garde à l’esprit une banalité qu’il est toujours bon de rappeler, à savoir qu’une peinture est d’abord le récit d’un regard posé sur quelque chose : la peinture raconte la manière dont le regard du peintre s’est posé sur son sujet avant de le déposer sur son support. Ce que nous voyons des paysages de Marina Rheingantz ne sont pas les paysages eux-mêmes mais un regard singulier porté sur ces étendues, la façon dont elle les voit avec la mémoire, dans le feuilletage de plans et de motifs, les plongées aériennes d’étendues sans horizon parsemées de motifs en suspension, d’agglomérats de lumière, de poussières, de phosphènes, de nuées d’éphémères microscopiques, pailletées de particules de réel figées en apparence et pourtant toujours mouvantes. Le regard est mis aux arrêts, stoppé dans son arpentage par la résistance de la peinture, par la compacité de sa surface, par la trame de motifs et de signes qui en parsèment les aires et s’y superposent comme des filtres ajourés.
Jean-Charles Vergne
Extrait du texte « Arrêté sans être fixé », dans Marina Rheingantz
Clermont-Ferrand, Editions FRAC Auvergne, 2021.
Le portrait n'existe pas
Pour sa nouvelle collaboration avec le festival biennal Les Jours de Lumière, le FRAC Auvergne présente une riche sélection d’oeuvres en écho à la thématique retenue pour cette 12ème édition, « Visages & Paysages ». Si le portrait et le paysage ont longtemps constitué des genres à part entière dans la hiérarchie en vigueur jusqu’au XIXe siècle, le rapprochement de ces deux sujets, dans le contexte de cette exposition, permet de mettre en évidence les rapports de réciprocité qui lient étroitement l’homme et son environnement.
L’exposition Le portrait n’existe pas nous met ainsi en présence de figures humaines qui ne sont jamais envisagées seules mais s’inscrivent d’emblée dans un paysage, réel ou suggéré, attestant que l’homme n’existe pas en lui-même mais bien dans, avec et par son environnement.
Aux côtés des représentations métaphoriques de Gerald Petit et de Daniel Tremblay dans lesquelles visages et paysages se confondent, chaque portrait présent dans cette exposition révèle en creux un certain nombre d’enjeux sociétaux, politiques, environnementaux… Les artistes contemporains s’affranchissent des codes classiques du portrait pour faire émerger des réalités sociales bien spécifiques (Pierre Gonnord), redonner une dimension humaine aux grands conflits contemporains (Yuri Kozyrev, Seamus Murphy) ou encore amener à une réflexion
sur les conséquences du progrès scientifique (Andreas Eriksson, Aziz+Cucher). C’est en ce sens qu’il est possible d’affirmer que le portrait, en tant que genre artistique, « n’existe pas » puisqu’il dépasse aujourd’hui volontiers la traduction fidèle des traits d’un visage pour servir de support à des recherches plus vastes.