Reste l’air et le monde…
Cette exposition constitue le troisième et dernier volet de la trilogie initiée en 2016 avec À quoi tient la beauté des étreintes, poursuivie en 2017 avec Le Divan des murmures, autour des questions concernant la manière dont nous percevons et interprétons les oeuvres, le temps que nous accordons au regard, ce qui nous étreint, nous touche lorsqu’une rencontre singulière advient entre ce que nous voyons et ce que nous sommes. Ce qui est abordé avec Reste l’air et le monde… est une forme de synthèse dont la principale vocation consiste à laisser au spectateur une entière liberté et la totale responsabilité de ce qu’il verra dans ce parcours de 35 oeuvres accueillant 24 artistes et un écrivain, organisé comme la traversée d’un paysage, scandé par les fragments d’une poésie en prose. Pas de cartels aux murs pour renseigner le nom des artistes ou le titre des oeuvres, pas de longues notices explicatives dans ce livret d’exposition. C’est ce que nous entendons par « entière liberté » et « totale responsabilité », en accordant ainsi à l’intuition son sens le plus littéral : l’action de contempler et de laisser les représentations se former dans l’esprit par la sensation. Pour une fois, laissons de côté les textes, les notices et les modes d’emplois et accordons-nous un temps supplémentaire pour rencontrer intimement les oeuvres. Accordons-nous – surtout – une confiance dans ce que nous voyons sans nous soucier de ce que nous devrions voir ou de ce que nous devrions comprendre.
Vue de l'exposition
LI KUNWU - La formidable épopée du Yunnan
Dessinateur hors du commun connu en France et à l’étranger pour ses nombreuses bandes dessinées à succès, Li Kunwu présente au FRAC sa nouvelle et spectaculaire exposition : La formidable épopée du Yunnan. En une cinquantaine de dessins grands formats – dont une impressionnante fresque de 21 mètres de long – Li témoigne de cette incroyable aventure qui rassembla au début du 20e siècle plus de 60 000 personnes pour construire « cette voie ferrée sous les nuages ».
Ces dessins retracent la formidable épopée du chemin de fer du Yunnan construit au début du 20e siècle par des ingénieurs français qui avait pour objectif de désenclaver la Chine du sud via le Tonkin (nord du Vietnam), protectorat français depuis 1883. L’adage alors défendu par la Troisième République (1870-1940) sous l’influence de Paul Doumer, gouverneur général de l’Indochine (1897-1902) étant que « la civilisation doit suivre la locomotive ». Sauf que la province du Yunnan était et reste encore l’une des provinces montagneuses les plus inhospitalières de Chine. Mais le défi était lancé !
Maître du lavis à l’encre de Chine, Li Kunwu nous donne à voir avec ce prisme déformant qui fait toute la singularité de son regard l’évolution de ce chantier spectaculaire qui, à force d’ingéniosités et de sacrifices, arriva au terme de sa titanesque mission.
Aux confins du documentaire, du récit graphique, avec ses perspectives déformées proches d’une fulgurante hallucination, le dessinateur nous livre une histoire édifiante et complexe de la condition humaine en marche vers le progrès au tournant du 19e et 20e siècle.
Parmi les hauteurs de cette Chine du Sud circula aussi l’un des ancêtres de nos déplacements modernes : La Micheline, importée par la Compagnie des chemins de fer de l’Indochine et du Yunnan. Des trois Micheline livrées à la Compagnie dans les années 1930, l’une est toujours visible au coeur du musée ferroviaire de Kunming. Li Kunwu souhaitait ainsi lui rendre hommage et remercier aussi la Fondation d’entreprise Michelin, partenaire de l’exposition.
Geneviève Clastres et Philippe Pataud Célérier (Est-Ouest 371)
DOUBLE JEU
L’exposition Double Jeu présente une sélection de plus de cinquante œuvres de la collection du FRAC Auvergne (Fonds Régional d’Art Contemporain) réalisées par une vingtaine d’artistes. Les œuvres réunies pour le Musée d’Art et d’Archéologie d’Aurillac occupent les deux vastes salles symétriques des Écuries, renforçant cette disposition par un « double jeu », chaque salle étant elle-même sténographiée de manière symétrique. Le double jeu dont il est question dans le titre de cette exposition est aussi – et surtout – celui du regard que nous portons sur les œuvres, celui de l’ambigüité du sens toujours présente lorsqu’il s’agit de lire une œuvre d’art, d’en produire une interprétation.
Comment interpréter l’étrangeté des œuvres de David Lynch présent dans cette exposition avec quatre gravures, art du 18e siècle ici employé par l’un des maîtres incontestés du cinéma pour livrer une autre dimension de son univers si singulier ? Comment lire de manière univoque la danse sublimement filmée par Clément Cogitore, inspirée du hip-hop et du krump mais exécutée sur un air du 18e siècle par des danseurs plongés dans un état proche de la catharsis chamanique ? Comment lire cet autre film réalisé par Cyprien Gaillard dans lequel s’affrontent deux bandes de hooligans au milieu d’une cité de la banlieue de Saint-Pétersbourg dans un tumulte évoquant les grandes batailles de la peinture d’histoire ?
Ce que montrent les œuvres réunies dans cette exposition est la permanence de formes anciennes, de citations, de références au passé qui, depuis toujours, ont constitué le terreau de l’acte de création car, en définitive, le « double jeu » est toujours celui de l’art actuel confronté à son incessant dialogue avec celui du passé.