Lorsqu’en 1931 Aldous Huxley (1891-1963) écrit Le Meilleur des mondes, il ne se doute pas que ses idées s’avéreront bien plus réalistes que de simples projections pensées pour un roman d’anticipation. Presque trente plus tard, en 1958, dix ans après le 1984 de George Orwell, il dresse un bilan de la situation du monde dans un essai intitulé « Retour au meilleur du monde », dans lequel il constate que non seulement ses prévisions se sont avérées justes mais que le monde a évolué vers le pire à une vitesse bien supérieure que celle qu’il avait prévue.
C’était en 1958. S’il vivait encore, Aldous Huxley serait sans doute stupéfait de constater que ses prévisions sont aujourd’hui avérées pour certaines, largement surpassées pour d’autres.
L’exposition Retour au meilleur des mondes présente la sélection d’une quarantaine d’œuvres dont les thèmes rejoignent les questions abordées par Aldous Huxley et témoignent plus généralement des préoccupations d’artistes attachés à rendre compte d’un certain état du monde et de son histoire récente, parfois de manière directe, parfois selon des modalités plus allégoriques.
Vue de l'exposition
CLAUDE LÉVÊQUE - Domaine Royal de Randan
Claude Lévêque (né en 1953) est lun des artistes français les plus renommés au niveau international. Il a notamment représenté la France lors de la 53ème Biennale dart de Venise en 2009 et a réalisé une œuvre monumentale pour la Pyramide du Louvre en 2014. Cette exposition conçue par le FRAC Auvergne au Domaine Royal de Randan sinscrit dans le cadre du FITE (Festival International des Textiles Extraordinaires).
Cette installation, intitulée Novicio en la Noche (« Le novice dans la nuit »), a été créée en 2003 à l’occasion de la participation de l’artiste à la 8ème Biennale dArt Contemporain de La Havane, à lintérieur de deux cellules contiguës du Fortaleza San Carlos de La Cabana, ancien lieu dincarcération politique. Sous deux voûtes traversées par un couloir, une quinzaine de parapluies de dentelle noire suspendus au plafond et prolongés par une ampoule rouge parcouraient le lieu. Chaque ouverture du lieu, fenêtres et portes, comportait une ampoule similaire, pendue de manière à contraindre le déplacement du spectateur. L’ensemble était mis en mouvement par le souffle de quinze ventilateurs répartis dans l’espace.
Réactivé pour le FRAC Auvergne qui en a fait l’acquisition en 2005 pour sa collection, cet environnement constitue un parcours initiatique en même temps quune mise en abîme des sensations denfermement vécues par les détenus, privés de tout repère sensoriel. Entre l’atmosphère rouge distillée par la luminescence des ampoules, le léger flottement des parapluies et l’angoisse impalpable véhiculée par la noirceur de la dentelle, Novicio en la Noche est un véritable caisson sensoriel. Élément récurrent dans la plupart des œuvres de Claude Lévêque, la notion disolement physique et sensoriel est aussi étroitement liée au principe de rupture territoriale. Pénétrer dans un espace conçu par Claude Lévêque consiste en effet à quitter un territoire connu, celui du réel, des distances perceptibles,de lacoustique familière, de lorientation et de léquilibre naturels, pour une dimension vacillante, un entre-monde fait dattracteurs étranges au sein duquel le sens sétiole en même temps que sévaporent les repères physiques communs.
Le rouge, dans cette œuvre, indique à la fois le changement d’espace et le changement dunivers. Les filtres rouges disposés sur toutes les vitres et les ampoules suspendues plombent littéralement lespace, ou, plus exactement, opèrent comme un agent épaississant sur lair lui-même. Le balancement des parapluies noirs, le mouvement rotatif des ventilateurs et leur bourdonnement sourd plongent autant le spectateur dans un environnement matriciel et protecteur quils limmergent dans une intimité angoissante. Certains spectateurs
éprouveront un sentiment démerveillement onirique dans cet espace, d’autres au contraire percevront la dimension tragique du lieu…